MTV, LA TELE DES ENFANTS PERDUS

TELEVISION

Fun TV a bel et bien cessé d’émettre, mais MTV, la grosse Bertha des chaînes jeunesse, continue d’irradier, de ses pustules fluos, le large spectre de la branchitude. Le résultat : Beau ni à voir... Ni à entendre.

En effet, nous sommes encore des millions, des centaines de millions d’occidentaux de moins de trente ans, à survivre bien que s’en étant goinfré jour après jour. La plongée en eaux trouble dans ce monde du bruit est donc longue, interminable.

Plus le fond approche, plus l’obscurité laisse place à du fluo. Je suis encore jeune, j’ai émergé il y a peu. Pourquoi replonger, alors ? Il n’est plus question de courage mais de profonde abnégation. Il est question de professionnalisme, d’initiative. S’armer d’une bonbonne d’O2 devant MTV relève du journalisme « undercover ». Se frayer un passage entre deux récifs publicitaires vantant les bruits stridents d’une sonnerie de portable, il fallait bien s’y coller. D’autres sont bien plus téméraires que moi, mais peu savent vraiment à quoi ils s’exposent.

Faut-il encore remettre les choses en perspectives ? MTV (ou Music Television), canal musical historique et chaîne US dans sa chair et son sang, forge depuis bien longtemps ma culture et celle de mes congénères. Depuis 1981, elle offre un point d’appui substantiel à tous les anti-américains primaires, secondaires, tertiaires ou tout simplement crétins. NRJ en moins ringuarde, TF1 en moins pantouflarde, Skyrock en moins racailleuse… MTV, il y a vingt ans, c’était la chaîne du petit connard en Wayfarer. Aujourd’hui c’est celle du petit connard qui fait claironner du Booba dans le métro avec son portable-ghettoblaster pendouillant autour du cou.

Toujours pour situer, si bien sûr il subsiste quelques individus à n’avoir jamais envie d’un disque ou d’un T-Shirt sans bien même comprendre pourquoi il est tellement « in the wind », MTV c’est le plus gros bureau de tendance du monde. Implacablement, la grosse nounou culturelle missionne, à travers les 171 pays dans lesquels elle émet, son flot de freek-ambassadeurs, floppée de créatures dont le représentant français a le mérite de cultiver à la fois l’envie de lui ressembler et la peur de lui ressembler.

"Mouloud, le monstre du Loch Ness de christine Albanel"

Mouloud Achour, Mister Hype sur Canal+ (déclinaison adulte de MTV), est en effet un pur produit de la pomponneuse MTV. De prime abord, certains ne verront en lui qu’un condensé humain de discrimination positive, et ils auront peut-être raison. Mais les sociologues les plus aguerris y verront surtout la preuve éclatante que l’on peut être à la fois laid, vulgaire, flashy, et faire tout de même baver une jeunesse toute entière.

Mouloud, c’est donc le monstre du Loch Ness de Christine Albanel et du monde de la Culture. On a beau vous montrer les photos et vous dire que ça existe, on aurait tous tendance à croire à un truquage tant l’idéal branché de la bestiole s’éloigne des critères unanimes et objectifs d’excellence et de bon goût.

Et pourtant… Si Nessy existe bien et vient nous conseiller gaiement le dernier Kanye West, c’est parce qu’MTV n’est rien d’autre qu’une énorme couveuse sous-marine. Les premières formes de vie terrestres émanaient bien des océans, c’est également le cas des premières formes d’inculture pré et post-pubères. A mi-chemin entre l’Atlantide et le Pays des enfants perdus, une bastide couleur néon, engloutie quelque part entre Los Angeles et le Virgin Mégastore de la Défense… MTV, on ne s’en échappe qu’une fois atteint l’âge adulte.

"Je voulais parler de François Mauriac, mais j’en suis bien incapable."

Heureusement, louée soit l’évolution, MTV ne diffuse plus de musique. C’est « trop la loose » pour une chaîne musicale. Si le navire amiral a laissé le segment des clips à la concurrence, laquelle se fait d’ailleurs un plaisir de refourguer son R&B, c’est pour mieux explorer celui du lifestyle. Une armée de lifecoach se fera ainsi un plaisir d’apprendre à la petite Shaquila de Philadelphie comment, draguer, baiser, danser, chanter, maigrir, ranger sa chambre, porter une robe de bal, se faire offrir une BMW, rouler des pelles en dansant le smurf, se faire élire Présidente des élèves, tuner sa caisse, combattre ses tocs, ou faire du skate en minijupe dans la neige. Tant que du fond des abysses, on ne nous oblige pas à écouter en boucle le dernier album des Pussycat Dolls…

Or, à bien y réfléchir, ce monde gluant duquel bien des larves se sont extraites, ce monde de Nemo sous acides, je ne l’ai jamais vraiment quitté. Certes, je ne suis plus l’un de ces orphelins de 16 heures, qui après dix premières années perfusés au Canal J finissait par troquer leurs biberons contre une dose de Madonna remixée à la sauce real TV. Mais j’ai beau essayer de m’en persuader, je n’en reviendrai jamais vraiment. MTV c’est ma mère et la mère de leurs enfants.

Je voulais parler de François Mauriac, mais j’en suis bien incapable. J’ai trop Pimpé my Ride et je suis resté avec les miens, vingt mille lieues sous les mers, nageant vainement à contre-courant dans le Gulfstream de la pop culture. Motif de désolation ? Peut-être.

Mais nos aînés sont sans doute trop vieux pour comprendre... Que nous sommes trop cons pour foutre le camp.

Dessins: Blancafort

2 commentaires:

Lok 47 a dit…

Pour changer de chaine, tapez n'importe quelle touche!

Puccini_alix a dit…

Très bon papier...

Mouloud prends cher, mais il le vaut bien