LA POSSIBILITE DE 3 ILES

CINEMA, BD, LIVRES

Shutter Island était un roman. Shutter Island est une bande dessinée. Shutter Island sera bientôt un film. Shutter Island est donc un archipel. CQFD.


Publié en 2006 aux éditions Payot-Rivages, Shutter Island est d’abord l’œuvre majeure de l’écrivain américain Dennis Lehane, celui que l’on présente, sans doute par commodité commerciale, comme le père de Mystic River. Un raccourci qui s’explique peut-être par le fait que, bien que n’étant pas son meilleur livre, cet autre roman de Lehane avait enfanté un film merveilleux, dans lequel Sean Penn nous servait une prestation d’acteur autrement plus inspirée que lorsqu’il est en charge de décerner la récompense suprême d’un célèbre festival de cinéma. (Digression n°1)

Pour situer, Shutter Island est ce qu’il conviendrait d’appeler, pour la flanquer de termes empruntés au cinéma, un "thriller", un "drame psychologique" ou encore, un "policier fantastique". Trois étiquettes plutôt appropriées mais qui ont souvent la fâcheuse habitude de forcer l’auteur à faire un choix entre succès de librairie et respect des critiques. En France, du moins... Car Lehane n'est pas à plaindre. Il est Américain, fait parti des rares à ne pas avoir eu à choisir, et de toute manière, par essence, avoir le choix, c’est déjà un luxe. (Digression n°2)

Sur cette île, donc, nichée au large de Boston (la ville de Lehane) et soumise aux terribles et mémorables vents de 1954, les autorités médicales et pénitentiaires américaines ont eu l’idée irréprochable de bâtir un hôpital psychiatrique, un Asylum comme on dit là-bas… On n’a pas fait mieux depuis Alcatraz et Guantanamo, d’où cette suggestion : Raser les crêperies de l’île de Ré et y tourner un Thalassa hors série, spécialement intitulé « embruns marins et savonnettes »… (Digression n°3)

"... Une immense réussite, aussi bipolaire que ses protagonistes."

Dans le petit port de Shutter Island, par un matin tempétueux, débarquent deux officiers fédéraux, Teddy Daniels et Chuck Aule, chargés de mettre au clair une affaire de disparition : Rachel Solando, brune, la trentaine, est coupable d’avoir noyé ses trois enfants dans un étang et de les avoir ensuite installés autour d’un bon repas, comme si de rien n’était. Or, toujours comme si de rien n’était, cette mère modèle en plein déni aurait trouvé le moyen de s’échapper de sa cellule (sa chambre, pardon), de son unité, et même, peut-être, de son île enchantée. De là à ce que Véronique Courjault soit pressentie pour ce rôle dans une éventuelle adaptation française... (Digression n°4)

Décor posé, anxiogène, et plein de grisaille, l’île et ses occupants sont à la base d’une immense réussite, aussi bipolaire que ses protagonistes. Et Shutter Island, qui, comme chacun des bijoux littéraires de Lehane, se dégustait déjà à l’état de roman, s’est naturellement vu muter en une bande dessinée au teint aussi blafard que les cellules de la mystérieuse unité 3. La magie verdâtre du dessinateur Christian de Metter aurait en effet raison du scepticisme de quiconque ne voit la BD qu’au travers du ras des pâquerettes un peu kitch dont sont coutumiers nombres de poids lourds du secteur. L’expression « roman graphique » n’est pas qu’une pirouette de langage, les librairies regorgent désormais de trésors à bulles… (Digression n°5)

"Le danger, c'est le patron !"


Deuxième essai transformé, reste alors, pour l’îlot qui se veut archipel, à passer la dernière phase de la métamorphose. Leonardo Di Caprio, Mark Ruffalo (l’homme qui n’avait jamais dû lire un « livre » de Marc Levy avant d’accepter de jouer dans Et si c’était vrai ?) et le fabuleux Ben « Gandhi » Kingsley lui donneront donc corps au cinéma. Jusqu’ici rien d’anormal, seulement voilà : L’adaptation américaine a été confiée à Martin Scorcese. Aïe ! C’est officiel. C’est acté… Et ça pourrait être un drame ! Leonardo, sa voiture hybride, et sa fausse barbe implantée façon McNamara & Troy, n’est même pas en cause. Le danger, c’est le patron !(Digression n°6)

Car son univers claustro, ses atmosphères visuelles et olfactives, font la force de Dennis Lehane, tout comme sa capacité à substituer ses mots à nos yeux. En possession d'une matière première aussi efficace, il serait possible à n’importe quel cinéaste doté de quelques moyens financiers (et d'un tant soit peu de talent) de réaliser un bon film, voire un très bon film, pour peu qu’il s’attache à respecter un minimum le texte originel. Mais Scorcese n’est pas n’importe qui, et là est tout le problème : Un tel ego, lustré à longueur d’années dans les sens du sourcil, ne se contentera sans doute pas d’une adaptation respectueuse.

Que ceux qui sont capables de citer le titre du dernier bon film de Scorcese dorment sur les deux oreilles. Mais que les autres commencent à douter en attendant le mois d’octobre et la très inquiétante… Possibilité d’un bide !

Photo : 1 - S.I. la BD, Rivages-Casterman-Noir, D.R.
2 - Affiche provisoire du futur film, Allociné.
3 - S.I. le roman, Payot-rivages, D.R.

4 commentaires:

Unknown a dit…

Bien aimé The Departed moi...

Allez bonne nuit

Angèle a dit…

Le graphisme de la BD a l'air sympa et assez "torturé" pour retranscrire l'ambiance que tu decris. En revanche l'affiche (provisoire !)ressemble à une mauvaise pub contre la drogue ou a un mauvais ( très mauvais) film d'horreur.
Pour ce qui est de Scorcese, il va falloir se faire à l'idée d'une overdose de sang, de cruauté et de sadisme. Comme si une mère qui noie ses enfants ce n'était pas suffisant dans l'horreur!

Benjamin Heil (Lunar Park) a dit…

Un film gore et cruel... ou peut-être un film de 2h40 sans rythme ni dialogues, signé d'un réalisateur qui coure après l'oscar comme après Clint Eastwood!

Mais, laissons-lui sa chance, ils auraient aussi pu choisir Wes Craven, et là il n'y aurait plus eu aucun suspense quant à la qualité du film.

Quentiiin a dit…

Le roman est génial, comme tous ceux du même auteur. Espérons que le film ne gâchera pas l'esprit. Au pire, il suffira de se replonger dans le bouquin pour nettoyer l'affront.