QUANTUM OF SOLACE : LE BLUES DU GORILLE

CINEMA

Mais pourquoi personne ne se soucie-t-il donc jamais du sort des hommes de main et de leurs familles ?

Mon nom est 26… Numéro 26. Il y a de cela trente ou quarante ans, je suis né quelque part entre Kiev et Vladivostok, de l’union d’une mère prostituée et d’un père homme de main. J’avais à peine 9 ans lorsque j’ai compris que mon destin d’enfant de communiste ne laisserait que peu de place à l’imprévu : Comme mon assez peu illustre paternel et comme son père avant lui, j’allais devenir homme de main.

Il est vrai que dans la famille 26, au-delà de la mâchoire carré et du goût prononcé pour les filles vulgaires, se transmettait invariablement, de génération en génération, de morts violentes en morts violentes, de lunettes noires en pinces-monseigneur, ce besoin viscéral de vivre des larcins d'un autre. Manque d’ambition, peut-être. Mais un amour profond pour le travail bien fait.

Tout juste en âge de torturer mes premiers chiens errants, je sentais déjà, des tréfonds de mon petit treillis, qu’il me faudrait à mon tour assouvir ces pulsions de mort, cette loyauté aux forces du mal, et ces subites envies d’arracher des ongles… Autant de doux parfums qui de tous temps ont coulé à flot dans nos larges veines caucasiennes.

"... Consortiums de bandits et autres organisations criminelles..."

Meurtres de sang froid, trafics en tout genre, interrogatoires sanglants, courses poursuites en pleine ville, intimidation de témoins et plans démoniaques pour détruire le monde (Hahahahaaahaaaaaaaa…)… Tout cela alimente peut-être les fantasmes de vos jeunes sauvageons, mais relève surtout des innombrables clichés que charrie notre profession. Croyez-moi, le revers de la médaille n’est pas aussi reluisant…

Avant tout, nous autres, mafieux du monde entier, gorilles de tous poils, sommes des travailleurs précaires, malmenés par le dumping social et la mise en pièce des techniques artisanales. Les consortiums de bandits et autres organisations criminelles, lesquelles ne sont pas plus que les autres épargnés par la crise financière, ne nous offrent d’ailleurs ni couverture médicale, ni tickets resto.

Sous-payés, sans primes de risques ni logements de fonction autres que notre Lexus noire aux vitres fumées, nous ne sommes ni syndiqués, ni reconnus professionnellement. Il n’y en a que pour Daniel Craig, ses costumes taillés au millimètre et ses abdos en acier trempé. Non, nous autres, gueules burinées et mines patibulaires, éprouvons les pires difficultés pour régler chaque trimestre les frais de scolarité exorbitants de Boris et Tatiana. Le Gorille soviétique peinant plus que jamais à se faire sa place dans ce monde du tout payant, il a bien fallut se rendre à l’évidence et monnayer nos services auprès des plus offrants : Les studios de cinéma !

"... Me voici embauché sur le tournage de Quantum of Solace, le dernier James Bond."


De caïds à l’ancienne mode, nous sommes donc passés, contraints et forcés, à la figuration sur grands écrans. Là encore, je m’en tire peut-être mieux que les autres. Après m’être fait, à la force du poignet, une place enviable dans la garde rapprochée de Vladimir Poutine. Après avoir intégré les services secrets de sa majesté Bernard Madoff, me voici embauché sur le tournage de Quantum of Solace, le dernier James Bond.

Bregenz, en Autriche. Scène de nuit. Daniel Craig vient de fracasser deux ou trois de mes collègues, tranquillement, élégamment... Et bien le type qui finit balancé du toit par cette saloperie de bellâtre, c’est moi. Le type qui finit piteusement étalé sur le capot de la limousine de Matthieu Amalric, c’est encore moi ! Je m’en sort bien : 23 secondes d’apparition et mon nom au générique… Je m’en sort vraiment bien…

Car tous mes congénères n’ont pas cette chance. Bouffés par les requins, écrabouillés sous un tractopelle, ou plus classiquement atomisés dans une explosion nucléaire, ils sont nombreux, gorilles anonymes, qui en plus d’enchaîner les missions précaires enchaîneront les morts sordides et inaperçues. Le comble : Pas même un bouquet pour la veuve éplorée, pas même une compensation pour le costume Armani taillé en pièce pendant les cascades !

Ainsi, vous l'aurez compris, ce destin peu enviable est aussi celui qui m’a conduit, près de 22 ans après mon premier viol en réunion, et pas moins de 27 ans après ma première fusillade dans un entrepôt désaffecté, à fonder cette honorable association : l’A.M.S.E.H.M.L.F (Association Mondiale pour la Sauvegarde et l’Entraide des Hommes de Main et de Leurs Familles).

Une association, un acronyme, huit lettres et plus encore de raisons de se battre pour ceux qui, comme moi, vivent avec douleur leurs engagements auprès des mafieux les plus infâmes, trafiquants d’organes ou producteurs de blockbusters hollywoodiens.

Offrez vous une conscience, donnez à l’AMSEHMLF !


(Quantum of Solace, disponible en DVD et Blue Ray)
Photo D.R.

2 commentaires:

Laura a dit…

Où dois-je déposer mon CV pour devenir femme de main?

Quentiiin a dit…

Quand je serais maître du monde, je proposerais une assurance-décès, pour les hommes de main, défiant toute concurrence . D'ailleurs, à noter : "Exécuter toute concurrence".